A la cour du Roi-Soleil, l'étiquette était codifiée, l'habillement était somptueux. Les courtisans pouvaient littéralement jouer les paons en portant des vêtements richement brodés, des chaussures à talons, etc. Aujourd'hui, les codes vestimentaires masculins longuement établis sont en train de connaître leurs premières fissures. Les hommes commencent à abandonner la formalité au profit de la mode, quelle qu'elle soit. Observer, analyser et réagir à ces changements, c'est la vie de l'artiste et du joaillier Husam El Odeh.
Les bijoux homme de Husan El Odeh
Né en Allemagne de parents libanais et palestiniens, El Odeh, 43 ans, est arrivé à la joaillerie via l'art. Il a « échangé la toile contre le corps, » comme il aime le dire. El Odeh a été récompensé par le British Fashion Council. En 2010, il a reçu le prix du talent émergent pour les accessoires. Soit 7 années après le début de sa relation professionnelle et personnelle avec le designer suédois Per Götesson. « Per cherchait quelqu'un pour créer des bijoux, » explique le joaillier. « Il est venu me voir à mon studio avec des coquillages. Nous avons fumé beaucoup de cigarettes (qui sont devenus une inspiration pour la première collection, sous la forme d'épingles). Nous nous sommes compris presque instantanément, à un niveau tactile. »
Ensemble, la paire se met à imaginer une approche nuancée et décorative de la mode homme en ayant recours à des matériaux familiers de façon inattendue.
Le futur de la masculinité, une histoire qui est en train d'être écrite, est ce qui obnubile Odeh. « Être un homme, c'est souvent naviguer à travers la mer des attentes, » explique le designer, qui les exorcise avec des bijoux qui testent les frontières des genres et qui assignent une valeur à chaque objet du quotidien. Voici une interview de Vogue qui permet de mieux comprendre la vision des bijoux homme de Husam El Odeh :
Comment vous êtes-vous décidé à devenir joaillier ?
J'ai commencé en tant que peintre. En fait il m'arrive encore de faire des esquisses pour des projets. Mon travail a toujours été centré sur le corps. Il était donc plutôt naturel d'évoluer vers les bijoux.
Comment travaillez-vous avec Per ?
Aujourd'hui nous vivons ensemble. Les idées de départ proviennent souvent de notre vécu au quotidien, de choses que nous observons à propos de l'un et l'autre. La saison dernière, c'est un nid de merles dans le jasmin que l'on voit de notre fenêtre qui fut la source d'inspiration de la collection. Nous avions vraiment développé une obsession pour ce nid. Il symbolisait pour nous l'accumulation des choses, la création d'un chez-soi à partir des choses qui nous entourent. Dans le défilé, ces éléments sont devenus des nids en fils d'argent rempli de choses telles que des briquets, des clés, etc. Nous parlons souvent de sujets tels que ce que cela signifie de naviguer dans notre monde en tant qu'homme. J'essaye alors de trouver des matériaux et des objets qui peuvent s'intégrer dans cette pensée, et qui peuvent être utilisés pour fabriquer des bijoux pour hommes.
Comment qualifieriez-vous votre style ?
Il y a une touche de surréalisme dans mon travail. J'aime laisser les choses en suspens, comme si le bijou posait une question. J'adore jouer avec les significations, juxtaposer les matériaux. Mon côté allemand me permet d'obtenir un équilibre visuel. On obtient un résultat à la fois désordonné et propre.
Pourquoi avez-vous développé ce goût de l'assemblage ?
Je pense que mon travail repose beaucoup sur la création de connexions entre les gens. C'est pourquoi je fais beaucoup référence à des objets fonctionnels du quotidien. J'adore les détourner de leur fonction afin de leur donner une nouvelle signification et un nouveau symbolisme. Lorsque vous vous reposez sur des choses aisément reconnaissables, il est possible d'établir immédiatement une connexion avec les gens qui composent votre public, tout en leur donnant la possibilité d'en faire une partie d'eux-mêmes.
En quoi les bijoux homme se distinguent-ils des bijoux pour femmes ?
Il y a plusieurs choses à considérer. Parfois le bijou homme est plus restrictif, car les hommes sont beaucoup plus préoccupés par l'embarras. Il faut également prendre en compte la taille et le poids visuel, qui varient en fonction du type de bijou. De nouveau, je pense que cela beaucoup à voir avec les attentes de la société envers les hommes et les femmes. Bien entendu, les traditions sont différentes. J'aime beaucoup jouer avec ces éléments. Repenser ce qu'est un bijou homme ou bijou femme est quelque chose qui est absolument passionnant du point de vue du designer.
Vos pensées sur l'homme nouveau ?
On parle souvent de ce sujet avec Per. Être un homme, c'est devoir affronter les attentes de la société envers vous, c'est beaucoup de pression. Mais je pense que la nouvelle génération est beaucoup plus ouverte à l'idée d'embrasser sa vulnérabilité. Se chercher, rêver, ces activités sont souvent perçues comme des preuves de faiblesse. Pourtant, il est beaucoup plus difficile d'être ouvert d'esprit. Il faut être bien plus dur et confiant en soi pour exprimer de la sensibilité.
Pourquoi les hommes portent-ils aujourd'hui volontiers plus de bijoux, selon vous ?
Je pense que le mérite en revient en partie à la mode. Au final, s'exprimer en tant qu'homme est devenu un signe de force et de créativité plutôt que quelque chose qui doit être source d'embarras. Même si on aime critiquer les réseaux sociaux, d'une certaine façon ils ont permis aux gens d'échanger, de se sentir acceptés. J'ai pu le constater avec mes nièces et mes neveux qui vivent à la campagne en Allemagne. Lorsque je les compare à ma génération qui a grandi durant les années 90, je suis vraiment heureux de voir qu'ils ne rejettent pas certains groupes, comme c'était le cas à mon époque.